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Le cœur, véhicule de conditions*1. (1ère partie)

Lorsque le cœur n’est plus un champ de bataille où s’entrechoquent idées, émotions et cogitations, mais un lieu dégagé, régénéré, il demeure calme et serein. Une fois cette condition tranquille et joyeuse en place, le cœur est alors tout prêt, lorsque invité à méditer, à révéler d ‘autres états, d’autres conditions encore plus subtiles.

A travers leur littérature, leurs images et symboles, les traditions anciennes témoignent de ces conditions révélées et de cette joie née de la méditation qu’il n’est pas toujours facile de décoder. Pourtant chacune d’elles, selon ses propres codes culturels, invite à les expérimenter lorsque la motivation à méditer est là.

Ainsi une incursion dans la pensée chinoise nous apprend :

-Que les Chinois choisissent encore aujourd’hui de traduire le mot « culture » par « le cœur général des peuples » *2 ; une très belle expression qui rappelle que le cœur a toujours été considéré comme le promoteur naturel et efficace de l’évolution humaine.

-Que le cœur, une fois débarrassé de ses encombrements, permet d’expérimenter à l’infini d’autres dimensions toujours plus subtiles de soi-même.

- Que les conditions subtiles et successives ainsi générées par la méditation sont plus faciles à expérimenter qu’à exprimer.

-Qu’il importe avant tout de les reconnaître, de les assimiler, puis de leur donner vie en les incarnant, non pas par la parole, mais par un comportement et des actes en accord avec leur subtilité.

Que proposait Zhuang Zi, sage et poète chinois en quête de la nature profonde de la réalité si ce n’est une expérimentation en direct de l’espace du cœur ? Comment s’y prenait-il ? En ouvrant son cœur à la puissance sacrée de l’univers…à la manière des paysans, commerçants, médecins, astrologues, potiers d’alors - en fait de tous ceux qui ont acquis la capacité de s’harmoniser aux circonstances dans l’exercice de leur savoir faire- indépendamment d’un quelconque recours à la philosophie ou à la religion.

Pour décrire en images ce processus, Zhuang Zi eut recours au véhicule emblématique de son temps : un char léger au plancher carré, symbole de la Terre, et au dais circulaire symbole du Ciel. Attelé de six chevaux, comme les six souffles qui nous animent, trois yin et trois yang, - c’est à dire la représentation même de la puissance harmonisée selon la numérologie chinoise, ce char comporte deux places debout et à l’avant : l’une pour le conducteur, l’autre pour le passager.

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage disait le poète, mais ici il n’est nullement question de regrets et de temps passé, mais d’une invitation ici et maintenant à la découverte du Soi. Ce qui faisait écrire au père Larre*3 commentant la randonnée de Zhuang Zi en plein Ciel : « Excursionner dans les lointains de l’Univers, à l’aise et sans rencontrer d’obstacle, c’est être pris comme passager de ce coche merveilleux, qui rend infiniment agréable et facile cette sortie hors du monde des hommes, dans la compagnie de celui qui vous fait une place à ses côtés. »

Une découverte toujours possible que révèle le début du chapitre 2 du Zhuang Zi :

« Maître Qi du Faubourg Sud, appuyé à l’accoudoir, était assis en position de méditation, la face tournée vers le Ciel, sans respiration perceptible, en état de dissociation, comme s’il avait perdu son double. » Cette condition ne manque pas de stupéfier son serviteur Zi You qui s’écrie :

« Eh quoi ! Le corps peut il vraiment en arriver à cet état de bois mort ? Le cœur peut-il vraiment en arriver à cet état de cendre éteinte ? »

Zi You sera bientôt rassuré. Une fois sorti de sa méditation, Maître Qi tentera de lui faire comprendre que méditer, ce n’est pas mourir. C’es juste oublier son moi pour découvrir le Soi, une fois les encombrements du cœur réduits à de la cendre éteinte. Bien qu’il sache que sa tentative risque d’être incomprise puisque toute communication par la parole est ipso facto limitée lorsqu’il s’agit d’exprimer l’indicible, Maître Qi aura fait néanmoins son travail, celui d’éclaireur, d ‘éveilleur.

La sagesse de Zhuang Zi, acquise en son temps, c’est-à-dire à l’époque des Royaumes Combattants au 4ème siècle avant J.C., lui valut l’honneur d’être sollicité par l’empereur pour le poste de premier ministre. On ne peut que rêver aujourd’hui d’une telle occurrence… Cependant l’offre fut déclinée selon les codes en usage, le sage restant peu porté à fréquenter le monde politique et ses turbulences. Et sa sagesse s’exprimera pour étendre son humanité à tous les êtres vivants au chapitre 5 de son œuvre :

« Si vous faites en sorte de préserver l’harmonie dans le contentement, vous serez pénétrant sans rien perdre de votre plaisir ; si vous faites en sorte de ne rien refuser, du jour comme de la nuit, vous serez un printemps pour les êtres ; c’est cela l’union par continuité avec les êtres, qui naît au temps voulu dans le cœur. Cela s’appelle « la puissance intégrale. *4

Ainsi une fois les événements du monde filtrés, puis dénoués par le cœur, le mental gagne immanquablement en discernement, en puissance de réflexion et en sagesse. Il est alors à même de promouvoir une vie saine et équilibrée en accord avec le Ciel et tout ce qui vit sur Terre.

Que souhaiter de plus ?

Peut-on envisager aujourd’hui un tel plan d’action, pragmatique et fructueux, capable d’unifier l’humanité par la puissance libérée du cœur ? Un projet réalisable à l’échelle mondiale et pour tous, apte à dénouer les complexités du cœur et à le régénérer ?

Animée par la transmission yogique, la méthode Heartfulness a été rendue disponible pour cela. Mais pour bien la comprendre, un détour vers une autre destination s’impose : l’Inde, autre géant des cultures d’Orient.

Note 1 : on peut comprendre une condition comme une sorte de relevé météorologique de ce qui se passe à l’intérieur du champ du cœur.

Note 2 : Le philosophe contemporain Zhao Tingyang dans sa correspondance avec Régis Debray traduit le mot « culture » par « le cœur général des peuples » ; Du Ciel à la Terre, la Chine et l’Occident, ed. Arènes, 2014.

Note 3 : Ce père jésuite s’exerça avec légèreté et bonne humeur à faire part de son expérience de la pensée chinoise dans son ouvrage Les Chinois, aux éditions Lidis, Paris, 1980.

Note 4 : Saine incertitude de Zhuang Zi, traduction d’ Elisabeth Rochat de la Vallée, Institut Ricci, Paris..


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