top of page

Hermès ou la Communication par le silence

Dieu grec de la communication au sens large du terme, outre voies et chemins, Hermès est aussi tout naturellement celui de l’éloquence. Mais là aussi, il sait se faire humble, discret ; il se glisse dans les interruptions, les pauses. Lors d’un long silence, on disait autrefois « Hermès passe » comme aujourd’hui « un ange passe ». Car c’est dans le silence que les choses importantes se tiennent. A quoi ressemblerait une musique sans espace entre les notes ? En jouant de sa lyre, Hermès sait aussi inspirer son auditoire par les intervalles de silence qui ponctuent sa musique. Orphée saura se servir de cette lyre pour charmer les gardiens du monde des morts et en ramener son épouse Eurydice, et il se pourrait bien que ce soit la mise en vibration de ces espaces, plus que la musique elle-même, qui surent toucher et apaiser le cœur de Cerbère et des Euménides…

De même, livres et discours tirent leur impact de la prosodie, du rythme des signes de ponctuation, des « Point à la ligne ! » de la maîtresse d’école au passage d’un nouveau développement d’idée. Mais la vraie et subtile communication se déploie dans ces espaces évoqués, dans le silence, le recueillement.

Or que se passe-t-il pour nous au quotidien ? Noyés comme nous le sommes dans le bruit et l’agitation, n’est-ce pas leur pollution qui nous guette ? Quand une bande-annonce défile silencieusement sur un écran de télévision, elle ne fait qu’ajouter au bruit d’un mental déjà bien sollicité. Quand une zone de détente se créée dans une entreprise, elle ne fait qu’ajouter à l’agitation par les steppers et autres activités censées réduire le stress et optimiser la créativité des circuits neuronaux. Bien qu’on puisse apprécier leurs bienfaits, le vrai calme ne se trouvera pas dans leur surenchère, mais dans ce que le cœur sera capable d’exprimer dans une atmosphère silencieuse. Réceptacle habilité à un décryptage averti et à une reconnaissance authentique de la signification profonde du silence, seul le cœur peut réveiller, activer et nous faire accéder à ces espaces secrets prêts à délivrer leur fécondité.

Comme nous l’avons vu dans un billet précédent, (le cœur 2ème partie du 26-02-2016) pour la tradition chinoise via Zhuang Zi, la vraie communication est celle de la musique du Ciel. Ce n’est pas celle de la tourterelle qui fréquente les toits et ne vole ni haut ni loin, mais celle de l’oiseau Peng sondant les abysses incommensurables, puisque de l’ordre de l’infini. Comment rejoindre cette musique du Ciel ? En quoi consiste-t-elle ? Telle est la question que pose Ziyou à son maître à peine sorti de sa méditation. Plein de bienveillance envers son disciple, Maître Qi commence par lui exposer ce qu’est la musique de la Terre et la musique des hommes, mais quant à la musique du Ciel, sa réponse se fera sur le seul mode convenable : le silence et son propre exemple à suivre.

Car s’il est possible de savoir que « La musique de la Terre est affaire de cavités et la musique des hommes assemblage de bambous inégaux », il est impossible d’appréhender la musique du Ciel par l’intellect. Seule la méditation, à l’exemple de Maître Qi, en révèlera l’étendue.

Devenue en nous comme le Ciel, la méditation nous fera atteindre alors « grande connaissance qui va tranquille ». Restée précautionneuse, étriquée, elle s’apparentera à « petite connaissance qui avance en sautillant », ou « petite parole qui papote inlassablement ». *2

C’est que pour franchir le vide abyssal, il faut se déterminer à y plonger et expérimenter sa nature même. N’est-ce pas ce silence du cœur, hors des mots et de leur signification, qu’évoquait Shri Ram Chandra faisant part de son expérience personnelle : « La simple lecture des livres sans une étude approfondie du livre du cœur ne sert à rien. »

Le cœur, toujours le cœur…

Note 1 : Zhuang ZI, Saine incertitude, chapitre 2, traduction : Elisabeth Rochat de la Vallée, Institut Ricci Paris.

Note 2 : Shri Ram Chandra de Shahjahanpur, Œuvres complètes de Ram Chandra ", Tome 2, VIème partie : La coulée d’ambroisie, p. 296.


bottom of page